INTERVIEW ELEGY (2010 )
L’anthologie Parachèvement de l’Esquisse sortie en 2008 devait être le tout dernier album d’Opera Multi Steel. Que s’est-il passé pour que vous soyez revenus sur votre décision ?
Franck L :Il y a déjà quelques années, c’est le succès d’ une précédente compilation «Days of Creation» qui avait donné à notre label brésilien de l’époque l’idée de nous remettre en selle après quelques années d’inactivité. Ceci déboucha sur l’album « Histoires de France ».
L’histoire s’est reproduite avec cette double compilation « Parachèvement de l’Esquisse » dont le titre avait été pourtant choisi à dessein, pour donner un point final à l’histoire d’Opéra Multi Steel .
Alors que nous consacrions nos années 2000 à « O Quam Tristis… » une sorte de revival eighties/nineties pour la Minimal Wave française et internationale allait grandissant dont OMS allait finir par profiter.
Notre premier album « Cathédrale » a été réédité par Infrastition, des titres du groupe ont été repris sur de nombreuses compilations, le label allemand VOD a réédité dans un coffret 3 vinyls une anthologie de nos anciennes démos parues originellement sur K7… et finalement nous avons été sollicités pour réaliser un nouvel album. Après beaucoup d’hésitations, et encouragés par des proches et des fans de longue date, nous avons décidé de tenter à nouveau l’aventure.
Racontez-nous la genèse de La Légende dorée.
Qu’est-ce que l’ouvrage de Jacques de Voragine représente pour vous ?
Franck L : C’est au fur et à mesure que se construisaient les chansons de l’album que l’idée du titre s’est peu à peu imposée. Plusieurs textes traitaient plus ou moins clairement de la thématique des martyrs (NS-ND, Sainte So, Rite Sacré…) qu’ils soient chrétiens ou séculiers, anciens ou contemporains. Certains textes évoquent même le thème du martyr appliqué à certaines personnes de notre connaissance ( !), voire plus ou moins consciemment à nous-mêmes. La vision amusée et fascinée à la fois des nombreuses apparitions du XIXème siècle, qui avait déjà été évoquée dans notre tout premier disque par le titre Massabielle trouve ici un prolongement dans « Le Cachot » qui narre les effets pervers de l’exploitation d’enfants « voyants » comme on les appelait à l’époque et d’une supposée foi à des fins mercantiles.
L’ouvrage de Jacques de Voragine qui raconte la vie des Saints, a lui, été écrit au XIIIème siècle, époque où l’on prenait toutes ces histoires d’abnégation et de sacrifice très au sérieux… Il est évident que de nos jours, sauf crédulité pathologique, on ne peut que le considérer comme un merveilleux livre de contes, une mine d’histoires extraordinaires qui pouvaient frapper l’imaginaire des contemporains de Voragine mais qui s’apparenteraient plus aujourd’hui à des contes pour enfants légèrement pervers. Ce livre est le catalogue parfait des différentes manières de vivre et surtout de mourir cruellement au nom d’un idéal souverain. Indépendamment de tout ce que cet ouvrage sous-tend de souffrance, son titre reste à la fois très évocateur et très flou au niveau strictement poétique. En résumé, contrairement aux apparences, ce nouvel album d’OMS est un vrai-faux album concept !
Sur le plan musical, cet album sonne plus synthétique que les précédents et rappelle la première période d’OMS. Comment s’est passé le processus de composition des morceaux ?
Franck L :Nous avions l’envie plus ou moins diffuse de renouer avec le passé, avec ce qui nous avait réuni à nos débuts et voir si nous pourrions nous retrouver de manière satisfaisante autour de nos instruments « anciens »- claviers vintage - et des sons de nos chères boîtes à rythmes.. Il n’était pas évident, qu’après une coupure de près de huit ans, nous pourrions réussir à recréer cette alchimie originelle. Après quelques répétitions un peu flottantes, les titres sont alors venus avec une certaine fluidité et nous y avons vite pris plaisir.
Le processus créatif chez OMS est assez fluctuant... Une constante toutefois, les textes sont écrits à l’avance quitte ensuite à les adapter légèrement à la musique à laquelle ils seront associés. Les séquences rythmiques de base sont elles aussi programmées en amont. Ensuite les nappes de synthés, les différentes lignes instrumentales émanent des uns et des autres, ensemble ou séparément. Les mélodies vocales sont généralement trouvées par celui qui les chante…Puis, quand la structure des titres est suffisamment établie, chacun part de son côté et réfléchit à d’éventuelles idées d’arrangements qui seront ensuite ajoutées lors de l’enregistrement. L’adjonction des bruitages, à laquelle nous attachons beaucoup d’importance, vient juste avant ou parfois pendant le mixage final.
Même si cet album peut sonner plus synthétique que le précédent (« Une Idylle en péril ») sur lequel on pouvait effectivement entendre des guitares électriques, nous n’avons pas abandonné pour autant les guitares acoustiques, les flûtes à bec et le mélodica qui interviennent sur certains titres. Quant à la basse, sauf exception, elle est toujours jouée par un véritable bassiste ! Nous sommes donc encore loin du tout synthétique même s’il constitue l’essence du son d’OMS.
Pouvez-vous nous parler plus précisément de “Perdre Connaissance “ et “Détention” ?
Patrick L. Robin : « Perdre Connaissance » fait la part belle au doute, à la suspicion. La découverte ou l’ignorance ? Beau programme en vérité ! Il fut un temps où la quête de cette célèbre connaissance semblait alors plus facile d’accès. La curiosité partagée était facilement échangée confrontée, ainsi, chacun avançait à son rythme, en lien avec le réel. La conscience se meurt actuellement faute de liens profondément ancrés sur des acquis construits sur la mémoire du passé et même du proche présent. C’est la notion même du temps qui est en danger. Nous en jouons et pensons le maîtriser. Cette connaissance acquise sans fondements ni comparaisons peut nous pousser à la considérer comme nôtre et nous donner un sentiment de puissance inégalée mais hélas non partagée et de fait non valide et surtout non pérenne. Avec elle, nous survivons, sans elle, nous tombons dans le malaise. La solution réside dans la transmission, pour satisfaire notre altruisme, effacer toute trace de culpabilité et, ainsi tombés au fond du puits, ne plus rien espérer d’autre que toucher de nos pieds les fondements même de la résilience. Ainsi, bien au delà de toute symbolique hasardeuse, il sera de plus en plus nécessaire, pour survivre en ce bas monde, de se bouger et de se réactiver, même si cela peut paraître à l’évidence folie, mais en réalité compréhension de la vie.
Le texte de « Détention » parle de l’intrusion dans les processus du mental et de la pensée réflexive, décrivant ainsi ce que tout condamné peut ressentir. C’est le thème principal de cette chanson qui fait la part belle aux références sombres en matière de fin de vie. Il traite de la manière d’en finir avec l’existence ainsi que des moyens d’éviter d’avoir à le faire quand cela est encore possible !
La geôle et le cachot qui déconcertent et décontextent l’être à son insu font que l’accusé devient finalement sa propre victime. En ces lieux d’incarcération, l’enfermement est aussi, lorsqu’ il est moral ou mental, l’occasion de faire le pas. La maladie, et toute entrave à la survie de l’individu ainsi qu’à son espace peuvent provoquer soit un détachement, ô combien salutaire dans certains cas, soit un décrochement et donner à la personne une possibilité de fuir la réalité de son mal ou de son isolement. La tentative de passage à l’acte, en tant que fin de conscience et de parcours, se solde alors par une pendaison, une défenestration… que sais je ?… qui pourront passer pour des tentatives de fuites de notre présent conscient parfois si anxiogène face à certaines interrogations ! Mais comme le disait si bien le Numéro 6 dans Le Prisonnier par la voix de Patrick MacGoohan: « Les questions sont une prison pour celui qui les pose et une prison pour celui qui y répond. »
Qu’est-ce que le “Mysterious Salvinian Medieval Consort” ?
Franck L : Le Mysterious Salvinian Medieval Consort est une entité plus ou moins réelle constituée des différents membres d’OMS et de personnes qui apportent ou ont apporté leur contribution à l’élaboration des interventions plus strictement médiévales, chœurs, voix ou instruments anciens que l’on peut entendre sur différents titres de l’album. C’est également un clin d’œil aux noms clinquants d’ensembles instrumentaux ou vocaux que l’on peut voir dans le milieu classique et donc sur nombre de cds de musique ancienne en notre possession et dont nous avons toujours été très friands.
D’autre part, le Salvinian Medieval Consort est l’expression littéraire d’une entreprise de dissection, et de decontextualisation d’infimes extraits musicaux à des fins illustratives. Depuis que nous avons écouté il y a des lustres, ce fabuleux album de Brian Eno et David Byrne « My Life in the Bush of Ghosts » précurseur en son temps du sampling créatif, nous n’avons eu de cesse de chercher à détourner, à nous approprier, par petites touches, des sons, des bruits, des mots qui avaient su nous toucher et qui pourraient renforcer, éclairer par leur pouvoir évocateur certaines de nos chansons et les ancrer dans une réalité qui pouvait être parfois difficile à cerner à la simple écoute de nos textes.
Quelques mots sur l’artwork du CD ? L’image de la plume dorée y est omniprésente. Vous n’avez pas choisi d’illustrer votre Légende dorée par des peintures contemporaines à Jacques de Voragine...
Catherine Marie : Illustrer notre album par des peintures du XIIIème eut été trop évident et en même temps trop restrictif. Nous n’avions pas envie que le visuel s’apparente à un design de cd de musique médiévale classique. Nous avons donc choisi trois images d’expression sulpicienne (fin XIXème début XXème) qui n’ont aucun lien avec Jacques de Voragine mais plutôt avec l’idée que nous avons du rapport qu’il peut y avoir entre une enfance ancestrale idéalisée et l’aspect puéril que peut revêtir parfois la croyance, l’obédience aveugle à des dogmes religieux ou politiques. Jean-Marie Noël, qui réalise depuis très longtemps le design de nos cds, s’est ensuite ingénié à détourner les images en y ajoutant notre logo en lieu et place des symboles religieux qui s’y trouvaient (bréviaire, collier…). L’idée de la plume dorée avec laquelle l’enfant trace notre logo sur une porte, qui lui avait été inspirée par le titre de l’album, a ensuite été déclinée sur les chromos qui se trouvent à l’intérieur du digipack et sur les quatre cartes accompagnant les remixes qui figurent sur le bonus cd de l’édition limitée de l’album. La plume se déplace ou se multiplie ainsi au gré des différentes illustrations sur lesquelles elle apparaît.
Des nouvelles de vos différents projets parallèles (”O Quam Tristis...”, Three Cold Men”, Thy Violent Vanities... Collection d’Arnell-Andréa…)
Franck Lopez : « O Quam Tristis… » qui a été notre préoccupation principale durant les années 2000 et avec lequel nous avons réalisé quatre albums, a été mis entre parenthèses, provisoirement ou définitivement, nul ne saurait encore le dire. Disons que le regain d’intérêt pour OMS et le temps que nous lui consacrons de nouveau ne nous permet pas matériellement de nous disperser et de passer de l’un à l’autre de façon satisfaisante. De plus, Palace of Worms, qui produisait et diffusait « O Quam Tristis… » depuis le premier album a mis dernièrement un frein à ses activités. « Thy Violent Vanities», qui faisait également partie de l’écurie Palace of Worms est également en sommeil. Nous avons ébauché avec Eric (Emeric) la moitié de ce qui pourrait être un second album mais l’incertitude du débouché et notre abondance d’activités en a stoppé le processus créatif.
Le troisième album des « 3 Cold Men » est entièrement enregistré. Il sera mixé dans les prochains mois. Titré provisoirement « Over a Cold Decade», il sortira sur un label brésilien courant 2011. Quant au prochain « Collection d’Arnell-Andréa », il est lui aussi complètement enregistré. Jean-Christophe et Chloé travaillent en ce moment à sa finalisation. Sa sortie est prévue pour le début de l’année prochaine.
Avez-vous des projets de tournée ?
Catherine Marie :Nous venons juste de commencer à réfléchir à une set-list pour des concerts prévus par notre label au Brésil en Avril de l’année prochaine. Nous allons axer le programme sur le dernier album et sur des titres extraits majoritairement de nos premiers albums et de « Cathédrale » en particulier. Après cela, s’il nous est donné de pouvoir jouer plus près de chez nous, je pense que nous ne manquerons pas d’étudier toute proposition !